Terre en France : qui en possède le plus ?

En France, 50 % des terres agricoles appartiennent à seulement 10 % des propriétaires. Le code rural autorise l’accumulation de surfaces sans plafond national, à l’exception de quelques départements ayant instauré des seuils locaux. Les femmes détiennent moins de 20 % des exploitations, malgré leur poids croissant dans la population agricole.Certaines sociétés, holdings ou fonds d’investissement contrôlent discrètement des milliers d’hectares via des montages juridiques. Les héritages familiaux continuent de façonner la carte foncière, perpétuant des déséquilibres parfois centenaires. Ces mécanismes dessinent une structure de propriété inégalitaire, impactant l’accès à la terre et la vitalité du monde rural.

À qui appartient la terre agricole en France aujourd’hui ?

La façon dont la propriété foncière se partage marque l’agriculture française d’une empreinte tenace. Derrière les 26 millions d’hectares de surface agricole utile (SAU), l’équivalent de la moitié du territoire métropolitain, se cache une coexistence de profils et de logiques multiples. Agriculteurs, familles, institutions se partagent un territoire aux règles du jeu bien particulières.

D’après les dernières données, plus de 450 000 exploitations agricoles se partagent officiellement le foncier. Cette image d’éparpillement est toutefois trompeuse. Derrière ce chiffre, la réalité est moins éclatée : seulement 10 % des propriétaires se partagent la moitié de toutes les terres agricoles en France. À l’opposé, une multitude d’individus, pour beaucoup retraités ou héritiers, détiennent de petits lopins, parfois laissés à l’abandon ou mis en location.

Pour mesurer l’ampleur des disparités, il est utile de dresser le portrait des principales catégories de détenteurs de terres :

  • Agriculteurs en activité : Leurs rangs fondent peu à peu, mais ils restent la figure principale du paysage rural, même si posséder la totalité de leurs hectares devient rare. Nombre d’entre eux cultivent sur des terres qui ne leur appartiennent pas complètement, la location étant désormais monnaie courante.
  • Particuliers non exploitants : Dans l’ombre, ce club de propriétaires grandit : citadins, héritiers ou simples investisseurs voient dans la terre une forme de placement, parfois déconnectée de toute activité agricole.
  • Institutions : Les collectivités, églises ou établissements liés à l’État gèrent, via des baux, des parcelles éloignées de l’imaginaire traditionnel de la ferme.

Le visage du foncier rural se transforme lentement mais sûrement. L’influence des sociétés privées grimpe, reléguant peu à peu le modèle du paysan propriétaire unique au rang de souvenir. Plus de trois millions de propriétaires existent officiellement sur le papier, mais le poids réel du foncier reste concentré : la structure du pouvoir ne change que par petites touches.

Portraits des grands propriétaires : familles, entreprises et nouveaux venus

En creusant dans la carte foncière du pays, on croise des noms, parfois transmis sur plusieurs générations, souvent absents des feux de l’actualité. Ces familles contrôlent d’immenses exploitations via des structures comme les GAEC ou les EARL, veillant scrupuleusement à préserver leur patrimoine. Qui dit héritage agricole dit souvent attachement viscéral à la terre, prudence sur le morcellement et transmission familiale.

Mais tout ne repose plus uniquement sur le nom gravé à l’entrée de la ferme. Depuis une décennie, le rôle des sociétés agricoles prend de l’ampleur. SCI agricoles, SCEA, coopératives : la palette s’élargit, avec des groupes industriels ou de travaux agricoles qui s’invitent dans le jeu. Cette montée en puissance du collectif accélère la tendance : la propriété foncière change de mains, passe sous contrôle des conseils d’administration, parfois des actionnaires.

Un autre acteur est à la manœuvre : certains nouveaux acheteurs voient dans la terre une valeur refuge. Il s’agit de profils urbains, d’utilisateurs étrangers, ou de sociétés cherchant à s’implanter dans la durée. Grâce à des dispositifs flexibles comme l’EARL, ces achats deviennent plus simples et moins visibles. Résultat, la part du foncier détenue par des sociétés ne cesse de croître, concurrençant les exploitants individuels et brouillant la frontière entre celui qui cultive et celui qui possède.

Inégalités et enjeux cachés derrière la répartition des terres

Il suffit d’observer la concentration de la propriété foncière pour saisir une réalité : une minorité de propriétaires fonciers détient une partie considérable des millions d’hectares du pays. Les chiffres évoquent quelques milliers d’exploitants ou de sociétés qui s’occupent de larges terres arables quand la plupart se contentent de parcelles bien plus réduites. Les mutations récentes, comme l’explosion des ventes de parts sociales, échappent souvent à la régulation ordinaire, aggravant le déséquilibre.

La pression ne se limite pas à la spéculation. L’urbanisation avale chaque année des milliers d’hectares agricoles. D’un côté, le sol disparaît, de l’autre, des terres restent inexploitées, parfois par pur intérêt économique. Les enjeux, eux, s’étendent : approvisionnement alimentaire, renouvellement du tissu rural, protection de la biodiversité, capacité à s’installer pour les jeunes générations.

Pour modérer la concentration, la loi Sempastous tente d’encadrer les prises de participation dans les sociétés agricoles, mais son efficacité reste discutée. Un certain nombre de collectifs et d’associations tirent la sonnette d’alarme : tant que spéculation et rareté guideront le marché, l’avenir rural restera fragilisé. Derrière ces statistiques, la réalité s’incarne : des terroirs qui se vident et autant de vocations d’agriculteurs qui peinent à prendre racine, faute d’accès à la terre.

Jeune femme professionnelle examine des cartes dans un bureau

Genre, accès à la propriété et perspectives d’évolution pour une agriculture plus équitable

Impossible d’analyser la propriété foncière sans évoquer le genre et la transmission. Un chiffre du ministère de l’Agriculture fait l’effet d’une douche froide : seules 27 % des cheffes d’exploitation sont officiellement reconnues. La difficulté à devenir propriétaire reste plus vive pour les femmes que pour les hommes. Les blocages prennent la forme de contraintes économiques, de traditions familiales, ou d’un marché verrouillé qui n’encourage que peu la diversité.

Le renouvellement des générations, lui aussi, se grippe. Chaque année, près d’un départ sur deux à la retraite ne trouve pas de repreneur direct. Malgré la loi d’orientation et d’avenir agricole destinée à faciliter l’accès à la terre pour de nouveaux profils, la concentration du foncier freine les ambitions. Certaines initiatives locales tentent d’ouvrir les portes : elles accompagnent les candidats à l’installation, favorisent l’innovation, cherchent à maintenir de la vie sur le territoire.

Ce partage du foncier interroge l’équilibre agricole du pays : plus de trois millions de propriétaires et une nouvelle vague de porteurs de projets se croisent avec des aspirations différentes. Repenser les transmissions, encourager la diversité, veiller à un partage plus équilibré des parcelles : voilà autant de chemins possibles pour dessiner un modèle agricole où chaque surface a de la valeur et où l’élan collectif redonne du souffle au monde rural.